Le déblocage de la participation ou le bal des cigales

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Michel Bon Président de Fondact

Le président de la République vient d'annoncer que l'épargne constituée par la prime de participation pourrait être débloquée pour favoriser la consommation. L'Etat cigale invite en somme les fourmis à entrer avec lui dans le bal de la dépense et de la fuite en avant. C'est consternant. Il ne s'agit pas ici d'accabler François Hollande. C'est Nicolas Sarkozy en effet qui a ouvert ce bal en 2008 en permettant de consommer tout de suite cette prime, qui était auparavant bloquée cinq ans. Ce qui consterne, c'est de les voir se rejoindre dans la même erreur.

Erreur qui vient sans doute d'une bien mauvaise connaissance de ce domaine, il est vrai beaucoup trop compliqué. Quel coup de pouce l'Etat donne-t-il à ces fourmis invitées à consommer ? Car c'est bien de fourmis qu'il s'agit ; les cigales n'ont pas attendu en effet M. Hollande, car elles ont eu M. Sarkozy pour leur permettre de dépenser immédiatement leur participation. Le coup de pouce, c'est de faire échapper à l'impôt sur le revenu les sommes ainsi débloquées. Mais cet impôt, la moitié des foyers n'y sont pas soumis, et pour eux la mesure annoncée n'apporte aucun avantage. Les autres sont par définition des ménages plus aisés, qui ont sans doute un peu d'épargne par ailleurs, et qui préféreront puiser dans celle-ci plutôt que dans leur épargne salariale, qui est moins imposée que la plupart des autres placements. Tous enfin vont pouvoir cette année recevoir les sommes perçues au titre de 2012 et débloquer les sommes perçues en 2008 au titre de l'année 2007, qui fut la meilleure de la décennie, soit au moins le tiers de leur épargne salariale. C'est dire que cette mesure ne va pas libérer grand-chose qui ne soit déjà disponible ou sur le point de l'être. Tout cela, ni M. Sarkozy en son temps ni M. Hollande aujourd'hui ne l'ignoraient, et il faut voir dans ces propos une nouvelle figure du tristement connu « effet d'annonce ».

Mais le recours à l'effet d'annonce sur un tel sujet est lui aussi consternant, tant il colle mal avec la réalité des situations. De deux choses l'une : ou cette mesure vise les salariés les plus aisés, et c'est un coup dans l'eau, car ils n'ont nul besoin de puiser dans leur épargne pour leurs dépenses courantes, et si ce devait être le cas, alors ce n'est pas dans cette épargne-là qu'ils puiseraient car elle est moins imposée. Ou alors, et c'est le plus vraisemblable, car il est bon que M. Hollande se préoccupe d'eux, cette mesure vise ceux qui ont des revenus faibles. Comment fait-elle pour épargner, cette moitié des Français qui gagnent moins de 1.800 euros par mois ? Loyer, essence, nourriture, chauffage, l'argent file vite, il faut compter toujours et encore, et à la fin du mois il ne reste rien ou presque. Pas facile pour eux d'épargner. Pourtant, une fois par an, arrive une rentrée que l'on espère sans trop savoir si elle viendra : le versement de la participation. Comme on n'en connaît ni la date ni le montant, qui fluctue d'ailleurs beaucoup, on ne le budgète pas. Et donc on peut l'épargner. Participation et intéressement sont la principale source d'épargne des salariés les moins bien payés.

Alors, si c'est à eux que s'adresse ce message, faut-il le comprendre comme : «  Vous qui n'avez pas trois sous devant vous, dépensez-les tout de suite »? Ce serait bien mal connaître ces salariés et leurs problèmes. Ce sont eux qui sont les plus fragiles dans la crise, eux qui ont le plus à s'inquiéter des déficits de toutes les protections sociales, chômage, retraites, allocations en tous genres. Bref, ce sont eux qui ont le plus besoin d'épargne pour se rassurer face à la crise. Et c'est à ceux-là, précisément, que l'Etat dirait «  Eh bien dansez, maintenant ».

Consternant, décidément.